Bosma
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From bosma@batis.cnrs-mrs.fr  Mon Jan 26 14:00:41 1998

Cher(e)s Collegues,

	Voici une reponse sur la question de l'avenir des telescopes de
2 - 3m, ecrit dans le cadre de la prospective INSU. 

Avec mes meilleurs sentiments,

Albert Bosma
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Introduction

Je donne ici mon point de vue personnel sur l'avenir des télescopes de 2-3m
en général, et ceux de l'OHP en particulier. Mes réflexions sont le fruit
d'une expérience observationnelle avec 8 télescopes radio (dont 4
interféromètres) et 21 télescopes optiques (dont le 5.0m de Palomar, le 4.0m
CTIO, le 3.9m AAT et le 3.6m CFHT), ainsi que 3 expériences spatiales. Je
traitera plusieurs questions d'ordre général avant de détailler mon point de
vue sur les programmes à mener à l'OHP.

Comment fermer les anciens instruments ?

Dans le passé, plusieurs stratégies ont été employées pour traiter les
anciens instruments qui ne sont plus à la pointe sur le plan technologique.
Il est instructif de se pencher sur le cas de la radioastronomie
centimétrique, où les progrès ont été fulgurants depuis 50 ans.

Remplacement par un instrument plus performant

Le VLA a été construit en échange du déclassement de nombreux instruments
anciens, dont les noms exotiques restent encore dans les catalogues de
sources radio (télescopes de Ohio, Vermillion River, etc.). Pareillement, en
Australie, avec l'avènement (difficile) de l'Australia Telescope, un ancien
instrument comme Fleurs n'a pas été continué. En Angleterre, les télescopes
de Jodrell Bank ont été intégrés dans le réseau Merlin.

Automatisation, et ensuite utilisation pour des programmes-clefs

Encore, en radioastronomie, le télescope de Dwingeloo (25m), a été
automatisé, et utilisé pour des programmes à très long terme, comme le
survey de Hartmann & Burton sur le HI galactique. L'interféromètre de Green
Bank a été repris par le US Naval Observatory pour un programme
d'astrométrie et géodésie.

Fermeture simple : notion du télescope jetable

Les interféromètres de Cambridge qui ont fourni les catalogues 3C, 4C, etc.,
et la ferraille avec laquelle on a découvert les pulsars, ne fonctionnent
plus, et les investissements dans le site servent le réseau Merlin d'une
part, et le projet COAST d'autre part. Ce dernier projet d'interférométrie
optique, mené par un groupe de radioastronomes qui se sont reconvertis, a
réussi à produire une carte de Capella à haute résolution, avec un
interféromètre à clôture de phase (cf. Baldwin et al. 1996). Ce sort des
télescopes est dû en partie à la différence sociologique entre Cambridge et
Jodrell Bank, qui a fait même l'objet d'un livre intéressant.

Jouvence des instruments uniques

Un cas apart est celui des télescopes de grande taille, qui sont tous
uniques : Arecibo (305m), Bonn (100m), Parkes (64m), et Green Bank (91m et
bientôt 100m). Ce dernier télescope, dont la première version s'est pliée
gracieusement, a été reconstruit essentiellement grâce à l'intervention du
sénateur Byrd (leader de la majorité au Senat, et sénateur de l'Etat où est
installé Green Bank). Les autres fonctionnent encore, et sont mis à jour par
l'installation des nouveaux modes de fonctionnement, dont le principal est
le multi-beam.

Commentaires

On voit donc plusieurs stratégies en oeuvre : centralisation vers des moyens
de plus en plus performants, spécialisation des instruments plus modestes
pour des tâches de longue haleine, fermeture avec perte des investissements
et changement de sujet de recherche, ou pérennisation de l'investissement
grâce aux innovations dans le mode de fonctionnement. Cependant, il ne faut
pas perdre de vue l'énorme progrès en matière de récepteurs et de
l'informatique, qui a accompagné ce développement.

L'astronomie optique : tendances

Pour l'astronomie optique, les choses ne sont pas pareilles. Après une
longue période où le 5-m du Palomar était le plus grand télescope du monde,
il y a eu d'abord la construction des télescopes de la classe de 4-m (Kitt
Peak, CTIO, AAT, ESO), qui ont été optimisés rapidement ensuite grâce aux
développements des récepteurs CCD. Ces derniers ayant atteint les limites
naturelles, le seul moyen de voir plus loin ou mieux est d'augmenter la
surface collectrice. D'où la vague de télescopes de 8-10m qui a déjà
commencé avec le Keck. Le fait que l'on peut utiliser le Keck pour la
spectroscopie des objets imagés avec le HST assure à l'astronomie
Californienne une supériorité de moyens ressemblant à celle des années
cinquante avec la combinaison 5m (spectres) et Schmidt (plaque photo) de
Palomar, supériorité qui disparaîtra avec la mise en route du VLT, Gemini,
et Subaru.

Ce qui fait la différence principale avec l'astronomie radio est qu'en
optique on observe beaucoup plus d'objets intéressants : la variation dans
les sujets de recherche est beaucoup plus grande que dans le domaine radio.
En fait, à chaque fois qu'une fenêtre du spectre électromagnétique s'est
ouverte, il y a eu un accompagnement des données optiques qui va avec.
Rappelons le chemin de découverte des quasars, le rayonnement X des étoiles
particulières, etc. Ceci se voit dans l'utilisation des petits télescopes
pour les thèses : une statistique du département d'astronomie de Yale dans
le Newsletter de NOAO de décembre 1997 est éloquente sur ce point. La
conclusion que les nouvelles possibilités d'observation grâce aux TGE
génèrent également une demande accrue du temps sur les petits télescopes
mérite attention.

Un autre aspect doit être souligné, et est à la source de demandes de la
part des cosmologues et des spécialistes des galaxies : comment comparer les
galaxies à grand redshift avec celles à z = 0 ? Une réponse correcte
nécessite soit de l'imagination, soit carrément une campagne d'observation
dédiée des galaxies proches, et parfois les deux ensemble. Inutile de dire
que l'on n'observe pas les galaxies brillantes et proches pour leur
structure et cinématique globale avec les télescopes de 8-10m, sauf cas
ponctuel.

On peut donc conclure que les télescopes de taille 2-3m ont encore un bel
avenir devant eux : soit en télescope de grand champ dédié, tel que le
projet VST de Naples, soit en télescope autonome, utilisé surtout pour des
projets concernant des objets brillants pour lesquels l'utilisation d'un
8-10m n'est pas justifiée.

La situation des 4m a l'ère de 8-10m

Au deuxième abord, on doit insérer dans la discussion la situation des 4m
actuels. Ceux-ci, aujourd'hui surprogrammés, doivent s'adapter : moins
d'instruments et des attributions de temps plus longues. Ceci est dû au fait
qu'une partie des observateurs actuels des 4m les délaissent pour les 8-10m.
Est ce que dans cette situation, on peut espérer y porter des programmes
actuellement menés aux télescopes de 2m ? Peut-être ... Tout dépend de la
manière dont on peut réutiliser le parc d'instruments focaux actuels pour
des programmes nouveaux.

En fait, le fonctionnement des sites multi-télescopes, tels que l'ESO, Kitt
Peak ou CTIO, repose sur un modèle hiérachique : le 4m prend beaucoup
d'attention, le 2m moins, et ainsi de suite. Dans une fonctionnement future,
l'effort principal sera porté sur le 8m, et un effort résiduel sur les 4m
actuels, s'ils appartiennent au même organisme.

D'où la difficulté en France : avec le VLT on aura un 8m entier car la
France fait environ 25% de l'ESO, on a 25% de ce qu'il restera en
fonctionnement à La Silla, mais le CFHT est à Hawaii et est partagé avec
d'autres, et les 2m sont sur le sol national. Ceci ne favorise pas du tout
les rationalisations, et le passage des instruments. C'est grâce à cet
éparpillement des sites que la France est moins bien lotie que l'Espagne en
terme de surface collectrice de télescopes par chercheur.

Une solution qui pourrait être consideré par certains comme rationnelle,
mais radicale, serait de fermer le CFHT à terme, et de vendre le site, afin
de se recentrer entièrement sur l'ESO. Ceci est facilité par le fait qu'il
est plus simple de recaser le personnel travaillant au CFHT que le personnel
sur le sol national. Cependant, cette ``solution'' poserait le problème de
la présence de l'astronomie française dans les deux hémisphères. De plus,
remplacer le CFHT par un télescope plus grand en gardant le batiment peut
être une solution prometteuse à terme. Cette question grave de fermeture
d'un moyen très performant ne peut être entretenue que dans une situation
budgétaire vraiment penible.

Les télescopes de l'OHP, que faire avec ?

Vue la situation actuelle, quel avenir pour les télescopes de l'OHP ?
Admettons d'abord le principe bien établi que c'est le premier télescope qui
coûte le plus cher, et le surcoût des autres est presque négligeable. Le
193-cm est actuellement déjà dédié : pour les nuits avec lune, il y a
Elodie, et pour les nuits sans lune Carelec. Le 152-cm est dédié aux
programmes stellaires, et le 120-cm et le 80-cm à l'imagerie CCD et aux
tâches d'enseignement. Les programmes scientifiques sont à la pointe :
rappelons qu'avec Elodie on a initié l'intérêt pour les planètes
extra-solaires pour de bon.

Laquelle des stratégies décrites plus haut doit-on utiliser ?
L'automatisation est en cours, et devra se terminer bientôt, ce qui réduit
les frais de fonctionnement un peu. La fermeture pénalise un sujet en
émergence (les planètes extra-solaires), et un sujet en maturité : la
cinématique des galaxies proches, si nécessaire pour mieux comparer les
galaxies à z = 0 avec celles observées avec les grands télescopes (et les
deux avec les simulations numériques). Le concept du télescope jetable ne
correspond pas non plus à notre culture où les ITA sont des fonctionnaires
de l'État. Reste donc à mieux rentabiliser l'exploitation, et à réduire le
coût de fonctionnement de l'ensemble.

La science à faire avec les télescopes de l'OHP

Une fois accepté que l'OHP continue à fonctionner comme observatoire de
mission, trouvons un mode de fonctionnement mieux adapté à un soutien
moindre. La solution est simple : pérenniser l'instrumentation, et les
opérations, et inviter explicitement les observateurs à soumettre des
programmes de longue haleine. Il y a suffisamment de programmes pour faire
cela. Pour mon sujet de recherche, je pourrais facilement doubler ou tripler
les nombre de nuits demandées pour de programmes précis sur les galaxies
proches.

J'utilise principalement le Carelec pour 1) la détermination de courbes de
rotation en Halpha des galaxies spirales, et 2) la détermination des
dispersions de vitesses stellaires dans les disques des galaxies spirales.
Ce travail est à la pointe : Joe Silk m'a quasiment arraché mes résultats
sur la détermination du paramètre de stabilité Q dans une galaxie que
j'avais observée en HI avec le VLA et en optique à l'OHP, et on m'a déjà
demandé de faire une revue invitée en août 1998 à un grand colloque sur la
Dynamique Galactique (à Rutgers) sur ce sujet. Qu'on ne nous dise pas que
l'on ne peut pas faire une recherche de pointe avec les petits télescopes.

Je pourrais facilement défendre d'autres programmes de recherche à peu près
similaires, et également utiliser le 120cm pour l'imagerie Halpha ou de la
photométrie BVRI. Les points forts du Carelec, sa longue fente de plus de 5
arcmin, sa résolution spectrale relativement élevée, et sa facilité
d'utilisation, en font un instrument très utile à coté des grands
instruments tels que le VLA ou le 30m de l'IRAM. Bientôt, avec l'avènement
du multi-beam au 30m de l'IRAM, des images Halpha à obtenir au 120cm peuvent
être utilement comparée avec les données CO et HI obtenues ailleurs. Ainsi,
la complémentarité entre les TGE dans le domaine radio et les petits
télecopes de 2-3m en optique s'affirme clairement. Fermer l'OHP veut dire
abandonner ce type de recherche aux universitaires américains, qui ont mieux
compris que nous en France l'interêt de ce type de travail.

Quelques mots sur les propositions en cours. Des financements ont été
demandés à la CSA pour les instruments Rosalie et Ghasp. Rosalie concerne le
projet spectro-imageur avec un mode Tigre, et éventuellement un mode
Pérot-Fabry. Ghasp concerne un instrument Pérot-Fabry d'équipe, à utiliser
pour un survey d'accompagnement d'un survey HI à Westerbork des galaxies
spirales. Dans le contexte actuel, ni l'un ni l'autre n'auront un
financement. Mon objection principale contre ces projets est qu'ils sont
conçus en circuit fermé et avec une justification scientifique qui laisse à
désirer. Il n'est pas souhaitable que l'OHP à l'heure actuelle devienne la
propriété d'une équipe, et dans la description du projet Rosalie on éclipse
trop facilement l'excellent travail que l'on peut faire avec Carelec. De
toute façon, on peut faire la détermination des dispersions de vitesses dans
les galaxies spirales mieux avec Carelec qu'avec Rosalie. Il est dommage que
la direction de l'OHP et de l'IGRAP n'ait pas procédé à une évaluation plus
sérieuse de ces projets avant leur présentation à la CSA.

Conclusion

La conclusion s'impose : les télescopes de l'OHP ont encore un avenir, à
condition de les moderniser à moindre coût, et de mieux évaluer en
profondeur les nouveaux projets que l'on propose.


A. Bosma
Observatoire de Marseille
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