Comme il l'a été écrit dans la Lettre de l'OHP 14 [Corporon 1995], nous avons initié en 1995 une recherche de binaires spectroscopiques parmi les étoiles jeunes Ae/Be de Herbig.
Après trois années, une quarantaine d'étoiles ont pu être observées à l'OHP (et l'ESO) : au total, ce sont 13 binaires qui ont été détectées, dont 8 nouvelles candidates. Nous rappelons ici la démarche suivie et présentons les résultats obtenus avec ÉLODIE.
Les masses d'étoiles de la Séquence Principale ou T Tauri ont pu être déterminées par l'étude de binaires spectroscopiques [Duquennoy et Mayor 1991], [Mathieu 1992].
En ce qui concerne les étoiles jeunes Ae/Be de Herbig (HAeBe), l'étude particulière que nous avons effectuée du système triple spectroscopique TY CrA [Lagrange et al. 1993], [Corporon et al. 1994, 1996], [Beust et al. 1997] est l'unique travail qui a conduit directement à la détermination des masses pour un système multiple composé d'une HAeBe et de deux T Tauri.
Les autres binaires spectroscopiques HAeBe étant quasi-inconnues, nous avons entrepris une recherche systématique pour, à terme, déterminer des masses d'HAeBe, et les comparer avec les modèles d'évolution stellaire existant [Forestini 1994].
Afin de mieux cerner le phénomène de multiplicité stellaire, il est nécessaire de quantifier pour les différentes classes d'étoiles la proportion d'étoiles doubles.
Pour les courtes périodes (P<100 jours), Duquennoy et Mayor (1991) et Mathieu (1992) ont déjà déterminé une fréquence de binarité de 7% et 11% respectivement pour les étoiles de type solaire et les T Tauri WTTS.
Le spectrographe ÉLODIE se révèle ainsi très utile pour compléter ces études: tandis que Delfosse et al. (1998) examinent la binarité des naines M du voisinage solaire, nous nous sommes intéressés aux étoiles jeunes Ae/Be de Herbig (HAeBe, de masse 2<M<10 M). Notre sondage spectroscopique complète en outre la recherche de binaires visuelles que nous avons menée parallèlement en imagerie IR avec Optique Adaptative à l'ESO et au CFH [Bouvier et al. 1999], [Corporon 1998, 1999]. L'ensemble de nos observations apportera des contraintes pour les divers modèles de formation de systèmes binaires de masse intermédiaire [Clarke 1996].
Les étoiles considérées pour l'étude spectroscopique ont été extraites de la Table 1 du catalogue d'étoiles Ae/Be de Herbig de Thé et al. (1994) : l'unique critère de sélection a été leur magnitude visuelle mV qui devait être inférieure à 11 (limite observationnelle).
Nous avons principalement observé les raies He I 4471, 5876 et 6678, Na I 5890 et 5895, Si II 6347 et 6371 Å. Le centre de la raie a été estimé en approximant une fonction Gaussienne, l'erreur d'une telle mesure varie entre 5 et 10 km/s, suivant l'élargissement rotationnelle de la raie ou sa forme (déformation par de l'émission notamment).
Notons que nous n'avons pas utilisé la technique de la corrélation numérique: cette technique, si elle est valable pour certaines étoiles chaudes de type A-B "normales" (de la Séquence Principale), est plus délicate à mettre en place dans le cas des HAeBe dont l'activité peut varier d'une nuit à l'autre [Royer 1998].
Les étoiles chaudes A ou B ne montrent pas la raie d'absorption du Li I. Si cet élément est détecté dans le spectre d'une de nos étoiles HAeBe, il révèle la présence d'un compagnon stellaire plus froid. Martin (1994) a ainsi quantitativement montré que la raie du Li I 6708 Å peut être utilisée pour détecter des compagnons T Tauri associés aux étoiles HAeBe de Herbig. Même si cette méthode ne pourra pas nous apporter des informations directes sur la masse stellaire, la détection d'un compagnon complètera notre statistique de binaires.
Figure 1: Déplacement en vitesse radiale
des raies He I 5875.621, Na I 5889.951 et 5895.924 Å pour les étoiles T Ori (à gauche) et MWC 1080 (à droite) |
Au cours de plus de 150 nuits d'observations, nous avons suivi 42 étoiles HAeBe. 13 binaires spectroscopiques ont ainsi été détectées : 6 binaires avec déplacement de spectre (dont 4 nouvelles candidates) ; avec le critère sur la raie du Li I, 7 étoiles binaires ont été trouvées (dont 4 nouvelles détections).
Les étoiles pour lesquelles des variations de vitesse radiale ont été observées avec ÉLODIE sont T Ori, HD 53367, MWC 300, AS 442, MWC 361 et MWC 1080 (Figures 1 et 2).
Pour chacune des deux étoiles HAeBe HD 53357 et AS 442, nous avons pu calculer une orbite préliminaire qui doit être confirmée par d'autres observations (Figure 3)
Figure 3: Courbe de vitesse radiale pour HD 53367 (à gauche)
et AS 442 (à droite). (V) = 5 km/s
|
Les étoiles binaires identifiées grâce à la raie du Li I sont HK Ori, V380 Ori, HD 203024, MWC 863 (ÉLODIE), ainsi que V586 Ori, NX Pup et TY CrA (CES). Le compagnon froid, responsable de la raie d'absorption Li I, est aussi identifié par les raies Ca I 6102.723, 6122.217 et 6717.681 Å. Pour comparaison, des spectres d'HAeBe apparemment sans compagnon plus froid ne montrent pas d'absorption Li I (Figure 4).
Une étude approfondie de ces nouvelles étoiles binaires spectroscopiques est nécessaire pour confirmer les périodes orbitales, estimer la masse des HAeBe et contraindre le type spectral des composantes.
En nous limitant aux courtes périodes (T Ori, AS 442, MWC 1080 et TY CrA), la fréquence de binaires spectroscopiques HAeBe est de 10%, comparable aux valeurs rapportées pour les étoiles T Tauri ou de la Séquence Principale. Cependant, de multiples biais limitent notre détection [v sini , rapport de luminosité,... voir l'article Corporon et Lagrange (1999)] et plus de la moitié des binaires restent probablement encore à découvrir. Une méthode complémentaire et prometteuse pour ce type de recherche est l'interférométrie : au cours de deux missions en mai et novembre 1999 sur l'interféromètre IOTA*, nous avons suivi les variations de visibilité de HD 53367 et MWC 1080 et surtout confirmé la binarité de MWC 361.
Beust H., Corporon P., Siess L., Forestini M., et A.-M. Lagrange, 1997 A&A 320, 478 Bouvier J., Corporon P. et al., 1999 A&A en préparation Clarke C., 1996 in "Evolutionary processes in binary stars" éd. Wijers A.M.J., Melvyn B.D. et Tout C.A., NATO ASI Series, Vol. C 477, p. 31 Corporon P., Lagrange A.-M. et Bouvier J., 1994 A&A 282, L21 Corporon P., 1995, La Lettre de l'OHP 14, 9 Corporon P., Lagrange A.-M. et Beust H., 1996 A&A 310, 228 Corporon P., 1998 thèse, Université Grenoble I Corporon P. et Lagrange A.-M., 1999 A&AS sous presse Delfosse X., Forveille T., Udry S., Beuzit J.-L., Mayor M. et Perrier C., 1998 IAU Colloquium 170, Precise stellar radial velocities, Victoria BC Canada, éds J.B.Hearnshaw and C.D.Scarfe, ASP Conference Series (1999), sous presse Duquennoy A. et Mayor M., 1991 A&A 248, 524 Forestini M., 1994, A&A 285, 473 Lagrange A.-M., Corporon P. et Bouvier J., 1993 A&A 274, 785 Martin E. L., 1994 dans "The nature and evolutionary status of Herbig Ae/Be stars" éd. Thé P.S., Pérez M.R. et Van Den Heuvel E.P.J. , Vol. 62, p. 315 Mathieu R. D., 1992 in "Complementary Approaches to Double and Multiple Star Research" éd. McAlister H.A. and Hartkopf W.I., IAU Colloquium 135, ASP Conference Series, Vol. 32, p. 30 Royer F.,1998 comm. privée Thé P. S., de Winter D. et Pérez M. R., 1994 A&AS 104, 315