Lettre de l'OHP - No.14

Elles tournent un peu, beaucoup, à la folie...

J. Bouvier, S. Allain
Observatoire de Grenoble

D. Queloz, R. Wichmann, M. Mayor
Observatoire de Genève

Lorsqu'elles atteignent la séquence principale (ZAMS), à un age d'environ 40 millions d'années, les étoiles de type solaire tournent souvent un peu (v sini <= 20 km/s), parfois beaucoup (20-100 km/s), plus rarement à la folie (100-200 km/s). Auparavant, dans la phase pré-séquence principale T Tauri, alors agées de quelques millions d'années seulement, ces mêmes étoiles tournaient toutes assez modérément (10-40 km/s). Pourquoi et comment passe-t-on ainsi, en un temps relativement court, d'une distribution de vitesses assez étroite dans la phase T Tauri à une distribution sur la ZAMS dont la dispersion est extrême? Ces questions sont à l'origine des nombreuses études observationnelles et théoriques récentes portant sur l'évolution du moment cinétique des étoiles jeunes et, plus ponctuellement, des programmes que nous menons avec Elodie au 193cm et avec le TK 512 au 120cm de l'OHP sur ce thème.

Que s'est-il passé entre la phase T Tauri et la ZAMS qui permette d'expliquer des taux de rotation si différents à ces deux stades d'évolution? Il n'y a pour l'instant pas de réponse observationnelle à cette question: le nombre d'étoiles "post"-T Tauri clairement identifiées, c'est-à-dire à mi-chemin entre la phase T Tauri et la ZAMS, reste trop faible pour pouvoir échantillonner de façon continue l'évolution de leur rotation au cours du temps. C'est donc aux modèles de jeter un pont entre ces 2 phases d'évolution., avec comme point de départ la rotation des T Tauri, à l'arrivée celle des étoiles de la ZAMS, et comme outils pour passer de l'une à l'autre les processus physiques qui influent sur la rotation de surface de l'étoile: évolution de la structure interne, perte de masse, interaction entre l'étoile et son disque d'accrétion.

Plusieurs modèles semblent y avoir réussi (cf. références) du moins dans le cadre des contraintes observationnelles actuelles; malheureusement celles-ci sont encore trop souples pour permettre de choisir parmi les différents modèles proposés. C'est donc dans le but d'obtenir des contraintes observationnelles plus strictes, et par là mieux caractériser les processus physiques en jeu, que nous avons lancé 2 programmes de mesure de vitesses de rotation avec Elodie:

* mesure des v sini d'étoiles de type solaire sur la ZAMS; nous avons mesuré la vitesse de rotation d'environ 70 étoiles de l'amas des Pleiades, connues pour être des rotateurs lents (v sini <= 7-10 km/s). Ces nouvelles vitesses, complétées par celles déjà connues des rotateurs rapides, nous fournissent la distribution complète des v sin i des étoiles de la ZAMS; par inversion statistique de la distribution des vitesses projetées, nous obtiendrons ainsi la distribution des vitesses équatoriales,

* mesure des v sin i de 70 nouvelles étoiles T Tauri découvertes dans le nuage du Taureau par le satellite ROSAT; nous doublons ainsi le nombre d'étoiles de ce nuage ayant un v sin i connu et améliorons d'autant la connaissance de la distribution des v sin i des étoiles très jeunes.

Ces programmes, qui permettent de préciser les conditions initiales et finales auxquelles doivent obéir les modèles, furent réalisés durant l'automne-hiver 94-95; les données sont en cours de réduction. Bien qu'aucun résultat ne soit encore disponible, des tests montrent qu'Elodie permet de mesurer par corrélation numérique des v sin i aussi faibles que 2-3 km/s pour ces étoiles de magnitude 12 à 14. Nous réduirons ainsi l'incertitude sur la vitesse des rotateurs lents pour laquelle n'existaient jusqu'à présent que des limites supérieures de 7-10 km/s. C'est en grande partie par les résultats obtenus sur les rotateurs lents que nous testerons la validité des modèles actuels: ceux-ci prédisent notamment l'absence de rotateurs extrêmement lents (<<10 km/s) sur la ZAMS, une conjecture que nous serons alors en mesure de vérifier ou d'infirmer.

Références
Angular Momentum Evolution of Low-Mass Stars, 1991, eds. S.
Catalano, J.~Stauffer, NATO ASI Series C, Vol. 340, Kluwer
Academic Publishers,

Cool Stars, Stellar Systems, and the Sun, 1994, Eighth
Cambridge Workshop, ed. J.-P. Caillault, ASP Conf. Ser.
Vol.64, Part II