La Lettre de l'OHP (No. 15)

Markarian 712: une nouvelle galaxie de Wolf-Rayet

Thierry Contini, Emmanuel Davoust

URA 285, Observatoire Midi-Pyrénées

Suzanne Considère

Observatoire de Besançon



Introduction

Dans le cadre d'une étude sur les sursauts de formation d'étoiles dans les galaxies barrées, nous avons obtenu des spectres à basse résolution d'un échantillon important de galaxies de Markarian barrées et IRAS. Au cours de l'analyse, nous avons découvert la présence d'étoiles de Wolf-Rayet dans une région H II géante de la galaxie Mrk 712. Une telle découverte est importante pour plusieurs raisons. D'une part, ces étoiles très massives ont une durée de vie très courte, et ne peuvent se former en grande quantité qu'en mode sursaut. L'étude détaillée de leur spectre permet donc de dater et de caractériser précisément le sursaut qui leur a donné naissance. Elle fournit également des contraintes importantes aux modèles de formation stellaire, en ce qui concerne les taux de formation d'étoiles très massives.

Mrk 712 est donc une galaxie de Wolf-Rayet, c'est-à-dire une galaxie où l'on détecte un grand nombre d'étoiles de Wolf-Rayet sous la forme d'un groupe de raies d'émission larges ("the Wolf-Rayet bump"), dont He II à [[lambda]]4686 Å est la plus intense. Du fait que ces étoiles ont une courte durée de vie, et que leurs raies sont relativement faibles, on ne connaît actuellement qu'une quarantaine de galaxies de ce type (Conti 1991), pour la plupart des galaxies naines, ce qui renforce l'intérêt de notre découverte.

Nous résumons ici les principaux résultats de l'étude spectroscopique détaillée de Mrk 712 ainsi que leurs implications sur les caractéristiques du sursaut de formation d'étoiles observé dans cette galaxie. Un article plus détaillé est sous presse (Contini et al. 1995).

La population d'étoiles chaudes et massives dans Mrk 712

Le spectre à basse dispersion (260 Å/mm) de la galaxie Mrk 712 a été obtenu au télescope de 193cm de l'Observatoire de Haute-Provence muni du spectrographe Carelec et d'un récepteur CCD Tektronix de 512 x 512 pixels.

Nous avons détecté la signature spectrale des étoiles de Wolf-Rayet dans une région H II géante extranucléaire située à 1.3 kpc du noyau de la galaxie (figure 1). Après avoir corrigé le spectre de l'extinction due à différentes sources, nous avons déterminé précisément le type d'ionisation (stellaire ou noyau actif) du noyau et de la région H II géante grâce aux diagrammes de Veilleux & Osterbrock (1987). Dans ces deux régions, le gaz ionisé est effectivement chauffé par une population d'étoiles chaudes et massives nées au cours d'une flambée de formation d'étoiles. Cependant, dans la région H II, nous avons détecté des raies d'émission provenant de l'argon ionisé cinq fois. Ceci prouve l'existence d'une source de photons énergétiques ([[lambda]] <= 228 Å) d'origine stellaire; nous avons supposé qu'il s'agit en l'occurrence d'étoiles de Wolf-Rayet très chaudes, T [[questiondown]] 70 000 - 90 000 K.

Nous avons tout d'abord déterminé l'abondance en oxygène de la galaxie, que nous utilisons comme indicateur de métallicité. Cette abondance est relativement faible, (O/H) [[questiondown]] 0.3 Z0, la galaxie est donc peu métallique. Nous avons ensuite déterminé le nombre d'étoiles de Wolf-Rayet situées dans la région H II extranucléaire à partir de la luminosité dans la raie de HeII à 4686 Å. Cette région contient environ 450 étoiles de Wolf-Rayet dans un volume d'environ 1 kpc3, ce qui représente une densité d'étoiles de Wolf-Rayet dix mille fois plus grande que dans notre Galaxie ! Cette proportion gigantesque d'étoiles massives témoigne effectivement d'un épisode très violent de formation d'étoiles dans cette région. En mesurant la luminosité dans la raie en émission de l'hydrogène, H[[beta]], et en utilisant des modèles récents d'ionisation du gaz (Vacca 1994), nous avons pu calculer le nombre total d'étoiles de type O responsables de l'excitation du gaz. Enfin, nous avons trouvé un rapport d'étoiles de Wolf-Rayet de type WNL aux étoiles O (NWNL/NO) de 0.2, comparable aux valeurs calculées pour d'autres galaxies de Wolf-Rayet (Vacca & Conti 1992).

Sursaut jeune et violent de formation d'étoiles

Les paramètres fondamentaux permettant de caractériser un sursaut de formation d'étoiles sont l'âge et la fonction initiale de masse. Cette dernière représente le nombre d'étoiles par intervalle de masse nées au moment du sursaut. On la quantifie par une loi en puissance d'indice négatif. Plus la valeur absolue de la pente de la fonction initiale de masse est faible, plus le nombre d'étoiles massives nées au moment du sursaut est élevé. Dans le voisinage solaire, la pente est égale à - 2.35.

Les modèles les plus récents de synthèse d'évolution de population stellaire développés par Cerviño & Mas-Hesse (1994) et Leitherer & Heckman (1995) permettent de déterminer l'âge et la pente de la fonction initiale de masse à partir de la largeur équivalente de la raie H[[beta]]. Pour le noyau de Mrk 712, nous trouvons un sursaut relativement âgé (7 à 9 millions d'années) avec une fonction initiale de masse de Salpeter. Par contre, la flambée de formation d'étoiles dans la région H II est deux fois plus jeune (3 à 4 millions d'années) et présente une fonction initiale de masse nettement plus biaisée vers la formation d'étoiles massives (pente de - 1).

Ce résultat est corroboré par les derniers modèles de synthèse d'évolution de population stellaire, qui tiennent compte de l'influence des étoiles de Wolf-Rayet. Dans la figure 2, nous comparons la dépendance du rapport NWNL/NO calculé précédemment en fonction de l'abondance en oxygène (O/H) avec les prédictions de ces modèles. Nous avons représenté la valeur observée de la région HII de Mrk 712 ainsi que celles déterminées par Vacca & Conti (1992) pour une dizaine de galaxies de Wolf-Rayet. En complément, nous avons tracé l'évolution du rapport NWNL/NO en fonction de (O/H) pour trois modèles d'évolution stellaire. Nous pouvons tout d'abord remarquer que ces trois modèles prédisent effectivement une augmentation du rapport NWNL/NO en fonction de la métallicité, mais que les valeurs prédites par le modèle de formation continue d'étoiles (Maeder 1991) restent dix fois inférieures aux valeurs observées ! Seuls les modèles impliquant une formation stellaire en mode sursaut (Maeder & Meynet 1994) s'ajustent correctement aux valeurs observées. Il apparaît également que différentes pentes de la fonction initiale de masse soient nécessaires pour expliquer la dispersion des valeurs observées du rapport NWNL/NO. Pour la région H II de Mrk 712, nous retrouvons le résultat des autres modèles puisque seule une fonction initiale de masse biaisée vers la formation d'étoiles massives (pente de -1) peut expliquer le rapport NWNL/NO observé. En résumé, l'épisode violent de formation d'étoiles responsable de la région H II dans Mrk 712 est très récent (3 à 4 millions d'années) et une proportion importante d'étoiles massives sont nées lors de cet événement.

Perspectives

Les galaxies de Wolf-Rayet représentent une opportunité pour caractériser les sursauts de formation stellaire dans un stade d'évolution très précoce. Il est maintenant nécessaire d'agrandir l'échantillon encore très faible des galaxies barrées de ce type (actuellement au nombre de 7) afin de mieux comprendre la véritable nature de ces objets et leur implication sur les modèles d'évolution stellaire.


Références

Cerviño M., Mas-Hesse J.M., 1994, A&A 284, 749

Conti P.S., 1991, ApJ 377, 115

Contini T., Davoust E., Considére S., 1995, A&A sous presse

Leitherer C., Heckman T.M., 1995, ApJS 96, 9

Maeder A., 1991, A&A 242, 93

Maeder A., Meynet G., 1994, A&A 287, 803

Vacca W.D., 1994, ApJ 421, 140

Vacca W.D., Conti P.S., 1992, ApJ 401, 543

Veilleux S., Osterbrock D.E., 1987, ApJS 63, 295


Figures

Figure 1. Spectre de la région H II extranucléaire de Mrk 712. La raie large de HeII à 4686 Å provient d'une quantité importante d'étoiles de Wolf-Rayet situées dans cette région.

Figure 2. Evolution du rapport entre le nombre d'étoiles de Wolf-Rayet et le nombre d'étoiles de type O en fonction de la métallicité (O/H). Les symboles correspondent aux valeurs observées pour une dizaine de galaxies de Wolf-Rayet (Vacca & Conti 1992). Les courbes représentent les prédictions pour différents modèles de formation stellaire (Maeder 1991, Maeder & Meynet 1994).



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