Didier Queloz
Observatoire de Genève
Méthode
L'utilisation de la technique de corrélation combinée
à un polarisateur (CORAMAG) a déjà permis de mesurer le
champ magnétique longitudinal d'étoiles tardives (Borra E.,
Edward G. et Mayor M., 1984, ApJ 284, 211). Avec Elodie nous
détectons le champ magnétique "de surface" en mesurant par
corrélation numérique l'élargissement Zeeman moyen de
groupes de raies possédant des sensibilités différentes au
champ magnétique. La différence quadratique des largeurs des pics
de corrélation entre les différents groupes de raies
utilisés est directement proportionnelle au module quadratique du champ
intégré sur le disque stellaire <B2> et est
indépendante des autres processus d'élargissement tels que :
turbulence, élargissement thermique, etc. Elle est aussi
indépendante de la rotation, dans la limite de faibles v sin i
Pour des étoiles de type Ap, G ou K, les tests effectués indiquent que l'incertitude sur la largeur des pics de corrélation est d'environ 30 m/s pour des spectres possédant un signal-sur-bruit de 20. Pour des étoiles à très faible v sin i, cette incertitude donne un seuil de détection légèrement inférieur à 1 kG, ce qui rend la méthode très performante pour des études portant sur de larges échantillons ou sur des objets faibles.
Application aux Ap
Les étoiles Ap sont les premières étoiles,
après le soleil, dans lesquelles on a détecté des champs
magnétiques. Leur champ est ordonné à grande
échelle. De plus ces étoiles se caractérisent par de
faibles v sini et par un nettement plus grand nombre de raies que les
étoiles A normales. Elles sont donc idéales pour la
méthode de corrélation. Elles fournissent également des
tests intéressants de la méthode.
Les mesures de champ de surface Bs faites jusqu'à présent ne permettaient une estimation fiable du champ qu'à partir de Bs ~ 2-3 kG (et cela pour des étoiles à raies très fines), si bien qu'elles n'ont été faites que pour une trentaine d'étoiles, principalement par G. Mathys. Par ailleurs, l'utilisation seule des mesures de champs magnétiques longitudinaux est insuffisante pour déterminer la géométrie du champ magnétique.
Bien que le champ magnétique des étoiles Ap soit étudié depuis longtemps, nous n'avons donc toujours pas d'idée claire de la distribution des champs de surface, ni de l'importance relative par rapport au dipôle magnétique des composantes multipolaires d'ordre élevé.
Le faible signal-sur-bruit demandé par Elodie permet de mesurer plus de 30 objets par nuit. On devrait donc augmenter très rapidement le nombre de champs de surface connus. Lors de notre première mission de septembre 1994, nous avons obtenu malgré une météo très défavorable des résultats tout-à-fait concluants. Pour tous les objets déjà connus pour avoir un champ de surface, nous avons retrouvé ce champ avec un très bon accord (voir Fig. 1). Nous avons également détecté des champs de surface dans nombre d'autres objets. Lors de notre prochaine mission d'avril 1995, nous projetons de mesurer plus de 150 objets.
Application aux T Tauri
Le champ magnétique semble être devenu un paramètre
central et incontournable des modèles explicant les
propriétés des étoiles jeunes et leur évolution
vers la séquence principale: l'observation photométrique de
taches sombres sur la surface de l'étoile (Bouvier J. & Bertout C.
1989, A&A 211, 99), la présence de jets protostellaires (Pelletier
G. & Pudritz R. 1992, ApJ 394, 117) ainsi que le phénomène de
freinage rotationnel durant leur évolution vers la séquence
principale sont des indices suggérant la présence de champs
magnétiques importants (de l'ordre du kG). Toutefois, la structure
probablement très bouclée du champ n'a pas permis de le mettre en
évidence par des mesures de polarisation. Le champ de surface semble
être actuellement le seul paramètre accessible pour ces objets (la
technique du Zeemann-Doppler-Imaging ne pouvant généralement pas
être appliquée, la majorité des T Tauri étant des
rotateurs peu importants).
Les 4 nuits de la mission de décembre 1994 nous ont permis de mesurer plusieur fois quatre T Tauri dont TAP35, qui est la seule, jusqu'à présent, pour laquelle un champ de surface (de 1-2 kG) a été détecté (Basri G. et al. 1992, ApJ 390, 622). Nos observations n'ont pour l'instant pas permis de mettre en évidence un champ magnétique pour ces 4 objets. Par contre, la détection d'un champ magnétique de 2.5 kG pour l'étoile EQ Vir (étoile K8 avec champ magnétique connu d'environ 2. kG) nous permet de penser qu'aucune des T Tauri observées ne possède un champ magnétique supérieur à 2 kG. Une réduction plus fine est en cours pour tenter d'abaisser notre seuil de détection.
Figure 1. Champ magnétique de surface d'étoiles Ap mesuré par la technique de corrélation et champ obtenu par d'autres méthodes. Les traits horizontaux relient les diverses valeurs données dans la littérature pour certains objets. (Notez que les Ap présentent des champs de surface variant avec la phase de rotation.).